Vivre et construire son identité |Magazine ARTISET | 1-2024

ARTISET Le magazine des prestataires de services pour les personnes ayant besoin de soutien. À la une Vivre et construire son identité Steps, un festival de danse inclusif, sur scène, en coulisses et dans le public Le placement forcé de personnes devenues adultes impacte aussi leurs enfants La directrice de Curaviva Christina Zweifel entend mieux intégrer les régions Édition 01 I 2024

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ARTISET 01 I 2024 3 Éditorial «La reconnaissance des personnes dans leur spécificité personnelle a une influence importante sur la construction de l’identité.» Elisabeth Seifert, rédactrice en chef Chère lectrice, cher lecteur, Qui suis-je? Pourquoi suis-je comme je suis? Comment aimerais-je organiser ma vie, mon avenir? Quelles sont les activités, les personnes et les relations qui font sens pour moi et qui me comblent? Autant de questions que nous nous posons tous, régulièrement, en particulier à des moments clés et lors de transitions: dans les jeunes années, lorsqu’il s’agit de choisir un métier ou de planifier sa vie, lors de tournants décisifs, vers la fin de la vie. Ce sont des questions auxquelles il n’est pas facile de répondre, car différents facteurs entrent en jeu: outre les particularités qui nous sont propres, notre environnement social et toutes les relations que nous entretenons au cours de notre vie ont également un impact important. S’ajoutent les normes et les points de vue qui déterminent notre société. Tous ces facteurs offrent autant d’opportunités que d’obstacles pour la construction de notre identité. Nos prédispositions individuelles ne trouvent pas toujours d’écho dans notre environnement social et peuvent même entrer en conflit avec ce que la société considère comme juste. Dans un tel contexte, il peut être difficile pour un individu de trouver et de suivre sa voie, comme l’explique Dario Spini, psychologue social et professeur a la Faculté des sciences sociales et politiques a l’Université de Lausanne, dans une interview accordée au magazine (page 9). C’est un défi particulier pour les personnes qui ne peuvent pas se conformer aux normes définies par la société en raison d’un handicap, de l’âge ou de circonstances sociales particulières. Dario Spini, qui s’intéresse régulièrement au thème de la vulnérabilité dans ses recherches, plaide donc pour que la vulnérabilité elle-même devienne la norme, sachant que nous toutes et tous ne pouvons pas non plus toujours satisfaire à toutes les exigences. Cette posture crée les conditions nécessaires pour justement permettre aux personnes «vulnérables» de vivre leur identité et pour les soutenir d’égal à égal dans le développement de leurs projets de vie. Les différents articles qui composent La Une de cette édition mettent en évidence l’importance que peut avoir l’entourage dans la reconnaissance des personnes et de leur spécificité personnelle. Par ailleurs, il est essentiel de les aider à réfléchir à leur vie, à faire des projets et les rendre ainsi autrices et auteurs de leur vie. Karen Ling, enseignante à la Haute école intercantonale de pédagogie curative de Zurich (page 24), résume cette idée en ces termes: «Pour le développement de l’identité, il est nécessaire d’interagir, de comprendre son propre parcours de vie. Il est également essentiel que nous puissions nous-mêmes agir et avoir des espaces et des rôles différents dans lesquels nous sommes reconnus.» Outre nos articles principaux, je vous recommande l’interview de la nouvelle directrice de Curaviva, Christina Zweifel (page 40). L’entretien a été mené par ma collègue de la rédaction romande Anne-Marie Nicole. Elle y aborde les principaux thèmes politiques, mais aussi la manière dont les différentes régions du pays peuvent s’inspirer mutuellement. «Il ne faut en aucun cas se laisser enfermer par les barrières linguistiques», souligne la nouvelle directrice. Photo de couverture: Un résident de Discherheim, à Soleure, consulte l’oracle ou profite tout simplement de la magie de l’oasis de tranquillité. Photo: Discherheim

HF Diplom 3-jährige Vollzeitausbildung Dipl. Aktivierungsfachfrau HF Dipl. Aktivierungsfachmann HF Mehr zum Aufnahmeverfahren unter medi.ch Weiterbildungsangebote für Aktivierungsfachpersonen HF (Ermässigung für SVAT-Mitglieder) Zertifikat FAB Fachperson in aktivierender Betreuung Fachverantwortliche/r in Alltagsgestaltung und Aktivierung Mehr zu den Weiterbildungsangeboten unter medi.ch medi | Zentrum für medizinische Bildung | Aktivierung HF Max-Daetwyler-Platz 2 | 3014 Bern | Tel. 031 537 31 10 | at@medi.ch HÖHERE FACHSCHULE FÜR AKTIVIERUNG AM PULS DER PRAXIS > > AKTIVIERUNG Avec de nombreux exercices pratiques ! DATE COURS 2024 11.–12. Juin, en Bienne COÛT : CHF 470.– (15 leçons, 1.5 jours) K-TAPING DANS LES SOINS Anmeldung & Infos Inscription & Infos sahag.ch · info@sahag.ch · 071 929 85 00 Formation Faire un don maintenant! IBAN CH60 0900 0000 1001 0946 8 «Souvent, mes douleurs sont insupportables» La Société suisse de la sclérose en plaques soutient toutes les personnes atteintes de SEP. Aidez-nous vous aussi: www.sclerose-en-plaques.ch

ARTISET 01 I 2024 5 Sommaire SONT CERTIFIÉES CRADLE TO CRADLE NOS ENCRES D’IMPRESSION Impressum. Rédaction: Elisabeth Seifert (esf), rédactrice en chef; Salomé Zimmermann (sz); Anne-Marie Nicole (amn); France Santi (fsa); Jenny Nerlich (jne) • Correction: Stephan Dumartheray • Éditeur: ARTISET • 3ème année • Adresse: ARTISET, Zieglerstrasse 53, 3007 Berne • Téléphone: 031 385 33 33, e-mail: info@artiset.ch, artiset.ch/ magazine • Annonces: Zürichsee Werbe AG, Fachmedien, Tiefenaustrasse 2, 8640 Rapperswil, téléphone: 044 928 56 53, e-mail: markus.haas@fachmedien.ch • Graphisme et impression: AST&FISCHER AG, Seftigenstrasse 310, 3084 Wabern, téléphone: 031 963 11 11 • Abonnements: ARTISET, téléphone: 031 385 33 33, e-mail: info@artiset.ch • Abonnement annuel CHF 125.– • Parutions: 8× allemand (4600 ex.), 4× français (1400 ex.) par année • Certification des tirages par la REMP 2023 (pour la version en allemand): 3167 ex. (dont 2951 ex. vendus) • ISSN: 2813-1363 • réimpression, en tout ou partie, selon accord avec la rédaction et indication complète de la source. À la une 06 Le café-récits favorise la réflexion sur son propre parcours de vie 09 Ce que recouvre la notion d’identité 14 Sonnweid: laisser les personnes vivre selon leurs propres normes 20 Discherheim: pouvoir vivre des expériences individuelles 24 Construire son identité est aussi possible sans la parole 27 Un livre de vie pour conserver les souvenirs des enfants et des jeunes 30 Les placements forcés marquent aussi la deuxième génération Les brèves 34 La formation pratique fête ses quinze ans L’actu 36 Publication des indicateurs de qualité: ce que cela signifie pour les EMS 40 La directrice de Curaviva Christina Zweifel encourage les processus participatifs 44 Loi sur la protection des données: conseils pour la mise en œuvre 46 Pas à pas vers l’inclusion 49 Un nouvel outil en ligne aide les EMS à développer leur stratégie 51 La voie royale pour les directions d’institutions Espace politique 54 Jacqueline de Quattro, Conseillère nationale PLR, Vaud 27 40 54

6 ARTISET 01 I 2024 «Les gens veulent être auteurs de leur histoire de vie» Le récit biographique favorise le maintien de l’identité individuelle et la participation sociale, notamment chez les personnes âgées. Photo: image d’illustration, 123FR

ARTISET 01 I 2024 7 À la une Quand je n’écris pas pour le magazine Artiset, j’anime des cafés-­ récits dans différents lieux, avec différents publics. Parmi eux, des personnes âgées en EMS. Une expérience humaine riche, qui invite les personnes à réfléchir à leur parcours de vie et à valoriser leurs propres ressources, qui favorise les liens entre elles et renforce leur identité personnelle. Anne-Marie Nicole Un des premiers cafés-récits que j’ai eu le privilège d’animer avec des personnes âgées s’est déroulé à l’EMS Les Pervenches, à Carouge, dans le canton de Genève. En ce début d’après-midi, les premières personnes arrivent tranquillement, les unes après les autres, et s’installent autour de la grande table, dans la salle d’animation. Elles sont ainsi plus d’une vingtaine à avoir répondu à l’invitation, bien plus qu’Estelle Floret, responsable de l’animation, n’en espérait! Avant même que tout le monde ait pris place et que j’aie le temps d’expliquer les quelques consignes et le déroulement de ce moment d’échange, un résident m’interpelle: «Qu’allez-vous nous raconter aujourd’hui?» Cette question m’est régulièrement posée lorsque j’anime pour la première fois un café-récits dans un EMS. À chaque fois, je donne la même réponse, avec un sourire qui se veut rassurant: «Ce n’est pas moi, mais vous qui allez raconter!» Car c’est bien là l’ambition des cafés-récits: offrir un espace bienveillant et respectueux pour que les gens puissent se raconter et, surtout, être écoutés. Nous sommes le 14 juillet, et le 1er août n’est pas loin. Le thème du jour était donc tout trouvé: la fête nationale. Pour l’occasion, et pour aider à libérer la parole, j’avais apporté des images évoquant les fêtes nationales de différents pays majoritairement représentés par les résidentes et résidents présents. Après un tour de table où chacune et chacun a pu donner son nom et faire ainsi entendre sa voix, j’ai commencé à poser les questions que j‘avais préparées, suivant une trame chronologique entre passé, présent, et futur, aussi proche soit-il. Enfant, comment était-ce chez vous? Comment l’avez-vous vécu? Quelles images gardez-vous en mémoire? Qu’est-ce qui a changé aujourd’hui? Que souhaitez-vous perpétuer? Etc. Timidement d’abord, puis avec plus d’assurance et d’enthousiasme, les résidentes et résidents ont raconté les fêtes de leur enfance, les traditions, les feux de joie, les lampions, les spécialités culinaires. Ils se sont parfois étonnés d’avoir vécu les mêmes choses, notamment lorsque les «petites» histoires s’inscrivent dans un contexte historique plus large. Ils ont ri ensemble à l’écoute de certaines anecdotes, ils ont partagé des émotions, ils ont respecté les larmes qui brillent au coin des yeux à l’évocation de souvenirs douloureux. Un espace unique d’écoute et de parole Estelle Floret est convaincue des bienfaits des cafés-récits, «un espace unique d’écoute mutuelle et de parole partagée d’égal à égal», résume-t-elle. Elle est également surprise de constater que les personnes ne s’interrompent pas, elle s’étonne d’entendre une résidente désorientée et habituellement peu bavarde, raconter un souvenir avec justesse et cohérence. En EMS, les résidentes et résidents se croisent tous les jours. Cela ne veut pas pour autant dire qu’ils se connaissent, hormis peut-être leurs voisins de table, admet l’animatrice. Les commentaires de ses collègues d’autres établissements vont dans le même sens: «Contrairement à leur habitude, ils se sont écoutés sans se couper la parole», rapporte l’une d’elle. «Ils se sont beaucoup exprimés, ce qui n’est pas toujours le cas», ajoute une autre. «Une complicité s’est instaurée, avec le sentiment d’avoir vécu ensemble quelque chose de particulier», se réjouit une troisième. Et de fait, de nouveaux liens se sont tissés entre deux résidentes qui ont pris conscience que l’une s’était mariée dans le village de sa belle-famille, dans un coin du canton de Lucerne, là même où cette autre résidente était née. Depuis, elles se saluent et boivent le café ensemble. LE RÉSEAU CAFÉ-RÉCITS L’association Réseau Café-récits encourage la création et l’implantation de cafés-récits animés avec soin en Suisse. Les cafés-récits sont des espaces de discussion où les personnes qui y participent partagent leurs histoires vie, d’égal à égal, sur un thème donné et accompagnées par une animatrice ou un animateur. Les cafés-récits réunissent des personnes d’horizons et d’âges différents dans des lieux de rencontre de quartier, des musées, des bibliothèques, des cafés et autres lieux. Le Réseau offre des formations continues, des espaces d’échanges, des rencontres thématiques et propose un agenda, des articles, des outils, et une liste d’animatrices et animateurs.

8 ARTISET 01 I 2024 Les cafés-récits sont des espaces de rencontre, accessibles à tout le monde, où les personnes qui y participent partagent leurs récits de vie, leurs expériences, leurs souvenirs, sur un thème donné, suffisamment large pour qu’il intéresse tout le monde – les voyages, le chez-soi, les voisins, le téléphone … Un café-récits se déroule en deux temps: le temps du récit, qui peut durer de quarante-cinq à soixante minutes, et le temps du café, moment convivial et informel autour d’une collation où les discussions peuvent se poursuivre en aparté ou en petits comités. Un cadre sécurisant Le rôle de l’animatrice ou de l’animateur est de créer un climat de confiance et de tolérance, d’accompagner la conversation, de la guider, de veiller à ce que chaque personne qui le souhaite puisse s’exprimer et de prêter attention aux sensibilités et aux émotions suscitées par les récits. Ici, on ne débat pas, on ne juge pas, on ne commente pas, on n’interrompt pas. Personne n’est obligé de parler, mais tout le monde doit écouter. Ce sont-là les quelques consignes énoncées au début d’un café-récits et qui contribuent à créer un cadre sécurisant et respectueux. Et c’est sans doute ce cadre-là qui distingue les cafés-récits d’autres groupes de parole à visée plus thérapeutique. Car les cafés-récits n’ont pas de vocation thérapeutique, même si leurs effets peuvent l’être. Le récit de vie a un pouvoir transformateur. Ce retour sur son propre parcours de vie peut renforcer l’identité, donner du sens au chemin parcouru, réconcilier avec sa propre histoire. Les histoires de vie se font écho et renforcent le sentiment d’appartenance. «Au-delà de l’histoire de vie individuelle, ce sont les conditions politiques, sociales, religieuses et culturelles de l’histoire contemporaine qui apparaissent. Grâce à la rétrospective dans le contexte du groupe, les participants peuvent découvrir les points communs et les différences, mieux comprendre, classer et réévaluer les expériences individuelles», écrit Johanna Kohn, professeure à la Haute école de travail social du Nord-ouest de la Suisse, dans un article de 2020 «Wir sind was wir erzählen» (trad. nous sommes ce que nous racontons). Naissance à Berlin, pour surmonter le passé Considérés comme des interventions socio-culturelles, les cafés-récits sont nés à Berlin vers la fin des années 1980, plus précisément à Wedding, un quartier traversé par le fameux mur de Berlin, caractérisé par sa mixité sociale, parfois explosive, raconte Johanna Kohn. À Berlin, comme à Vienne d’ailleurs, les cafés-récits se sont multipliés afin de permettre à la population de raconter le vécu, de partager les réalités respectives et d’essayer de surmonter le passé. S’il a aujourd’hui surtout pour ambition de promouvoir la cohésion sociale et l’acceptation de la diversité, le concept de café-récits développé en Suisse au début des années 2000 a d’abord été pensé pour les personnes âgées. «Le travail biographique occupe une place importante dans la vieillesse. Qui est-on devenu? Quels projets de vie a-t-on réalisés et auxquels a-t-on dû renoncer? Dans quelle situation a-t-on été performant, coupable, intelligent, courageux ou victime? Et que veut-on encore faire du temps qu’il nous reste à vivre? Ce sont là des questions existentielles, particulièrement en période de ruptures dans la trajectoire de vie», affirme Johanna Kohn. La professeure, qui assure une formation continue à l’animation de cafés-récits, est aussi l’une des chevilles ouvrières du développement des cafés-récits en Suisse et de la création du réseau des cafés-récits. «Dans ce processus de réappropriation de leur vie, les personnes âgées veulent être considérées et traitées comme auteures de leur propre histoire de vie», insiste encore Johanna Kohn. Les cafés-récits sont bons pour la santé Selon un groupe de chercheuses allemandes en médecine psychosociale et psychothérapie, le récit biographique favoriserait le maintien de l’identité individuelle et la participation sociale. Une évaluation mandatée par Promotion Santé Suisse tire en substance les mêmes conclusions. Dans son rapport de décembre 2022, les auteurs écrivent que «la participation à un café-récits influence positivement la santé psychique des personnes (âgées)». Ils ajoutent que «ce type de réflexion structurée sur sa propre biographie peut avoir une influence positive sur des aspects tels que la satisfaction face à la vie, l’estime de soi, l’efficacité personnelle et l’appartenance sociale». Le café-récits participe donc d’une démarche biographique particulièrement bien adaptée pour les personnes âgées. Le récit de vie a un pouvoir transformateur. Ce retour sur son propre parcours de vie peut renforcer l’identité, donner du sens au chemin parcouru, réconcilier avec sa propre histoire. INFORMATIONS COMPLÉMENTAIRES ➞ www.cafe-recits.ch

ARTISET 01 I 2024 9 À la une «On n’est pas seul maître de qui l’on est!» L’identité d’une personne ne se limite pas aux informations figurant sur ses papiers d’identité. C’est une notion complexe, paradoxale et multiple. Elle varie au fil de l’histoire, elle évolue au cours de la vie des individus, elle se construit entre ressources personnelles, environnement social, représentations normatives. Éclairage de Dario Spini*, professeur à la Faculté des sciences sociales et politiques à l’Université de Lausanne. Propos recueillis par Anne-Marie Nicole Comment définiriez-vous la notion d’identité? Je pourrais dire que l’identité est simplement la réponse à la question «qui suis-je?». Mais l’identité est effectivement une notion plus complexe dont la construction est propre à chaque individu. Elle réunit des caractéristiques personnelles intérieures, psychiques et physiques, qui ressortent de la mémoire autobiographique: d’où je viens, qui je suis, quelles sont mes motivations, mes activités, mes projections dans le futur. Entrent également en considération les objets, par exemple ma voiture ou mes vêtements, si je considère qu’ils font partie de moi. S’ajoute aussi le soi spirituel, qui sont les croyances, les convictions et les valeurs. Et que dire de la composante sociale de l’identité? Naturellement, l’identité se négocie avec l’environnement social de l’individu, dans les relations interpersonnelles entre et au sein de groupes de personnes, comme la famille, le travail, le club de sport, l’institution, etc. Les caractéristiques de l’identité qui sont perçues intérieurement par la personne elle-même, comme la façon de s’exprimer, l’apparence physique ou l’activité professionnelle, sont aussi perçues de l’extérieur. L’image que nous donnons de nous-mêmes et celle que nous renvoient les gens participent de la construction de notre identité. On n‘est pas seul maître de qui l’on est! Il y a beaucoup d’aspects de notre identité qui sont en interaction avec les autres. En conflit aussi? En cas d’identités différentes, il arrive en effet qu’on entre en conflit, sans même se connaître personnellement. L’identité se joue à divers niveaux, qui vont de soi à soi, de soi aux autres, de soi vers un monde où les relations de pouvoir, d’autorité, de collaboration

10 ARTISET 01 I 2024 ou de conflit, sont asymétriques. Dans les institutions aussi les questions d’identité se confrontent et peuvent engendrer des incompréhensions. Chaque lieu offre des opportunités et des contraintes. La vie collective ne permet pas toujours d’exprimer sa propre identité. Chaque personne doit s’adapter à cet environnement. La notion d’identité est paradoxale, entre différenciation et assimilation. La question est de savoir comment on se positionne par rapport aux autres, car l’identité est à la fois le fait de s’identifier et de se différencier. Ce qui nous rapproche permet de collaborer, de rassurer, d’estimer. Ce qui nous différencie est certainement une richesse, mais parfois aussi une source de difficulté. L’individu est-il donc sans cesse en mouvement entre ce qui le rend unique et ce qui le rapproche des autres? Tout à fait, avec des variations historiques énormes. Il y a eu des époques où la famille, le clan, la religion prenaient le dessus sur l’individu. La place de l’individu face au groupe varie beaucoup dans l’histoire. Aujourd’hui, nous sommes dans une période où la norme est d’être unique. Nous vivons dans une société très individualiste où chacune et chacun fait sa propre histoire, son «mythe personnel», se mettant en scène sur les réseaux sociaux, avec une exacerbation du soi et de son identité. Dans quelle mesure les normes sociales influencent-elles la construction de l’identité? Prenons l’exemple de la norme d’autonomie. Elle est aujourd’hui très valorisée dans la société et renvoie à l’idée que toutes les personnes qui ne l’atteignent pas, parmi lesquelles des personnes en situation de handicap et des personnes âgées, sont dans une situation de fragilité ou de dépendance. Et elles sont nombreuses en Suisse à ne pas répondre à cette norme et, de ce fait, à se sentir dévalorisées, voire discriminées. Dans le cadre des travaux que nous avons menés avec le centre LIVES, nous avons décidé de renverser la perspective: la norme, c’est la vulnérabilité. Nous sommes toutes et tous vulnérables, à des degrés divers. L’admettre permet d’agir et d’aider chaque personne à gagner le maximum d’autonomie compte tenu de son contexte de vulnérabilité. Depuis que j’ai retourné les choses, cela a changé ma vie! En d’autres termes, on met tout le monde en difficulté… Exactement. Dès l’école on nous dit sans cesse «sois autonome!». En revanche, on nous apprend moins à aider celles et ceux qui sont en difficulté ou à demander de l’aide si on est soi-même en difficulté. La compétition passe Dario Spini: «Nous avons décidé de renverser la perspective: la norme, c’est la vulnérabilité. Nous sommes toutes et tous vulnérables, à des degrés divers.» Photo: màd

ARTISET 01 I 2024 11 Annonce Max vient toujours! 0848 852 856 Nettoyage des canalisations Contrôle caméra Nettoyage de ventilations Écoulement bouché? info@tuyaumax.ch Service 24h/24 Contrôle gratuit de fonctionnement des canalisations + ventilations avant la collaboration. Dès l’enfance, nous sommes en compétition et devons montrer que nous allons devenir un individu autonome. C’est certainement juste, mais insuffisant. Il ne faut pas penser que tout le monde va y arriver de la même manière. Les gens ont des vulnérabilités différentes, liées à leur histoire ou à leur génétique et ne sont pas forcément responsables de ce qui leur arrive. Comment l’identité peut-elle se (re)construire chez des personnes vulnérables? Prenons l’exemple du handicap. On distingue fondamentalement deux situations: le handicap de naissance et le handicap survenu plus tard, qui crée une rupture de l’identité, qu’il faut reconstruire. Dans ces deux situations, les dynamiques ne sont pas les mêmes, pas plus que les ressources dont dispose la personne pour vivre au plus près de ses aspirations. Le futur se dessine très différemment si l’on peut construire une identité même en vivant avec des limitations que s’il faut se reconstruire une histoire et une identité après un accident, par exemple. Quelles sont ces ressources auxquelles la personne peut recourir? Les ressources sont multiples. Les ressources personnelles accumulées par l’individu tout au long de son parcours de vie et qui sont intimement liées à sa personnalité et à ses capacités, et les ressources de l’environnement. Ainsi, une personne isolée aura moins de ressources qu’une personne qui appartient à différents groupes sociaux, auxquels elle peut se rattacher, s’identifier et se référer pour reconstruire une identité. Une personne très active socialement sera aussi capable de se créer de nouvelles ressources pour se reconstruire autrement et se projeter dans le futur. L’identité de personnes dites vulnérables est-elle forcément vulnérable et instable? Non. L’identité peut vraiment s’exprimer et se construire de mille manières. Certaines personnes trouvent des niches dans lesquelles elles peuvent s’affirmer. Le sport-handicap en est une. L’identité, c’est aussi la façon dont on se met en scène dans le monde. Ce n’est pas toujours facile, même dans une vie normale. Il faut que cela corresponde à l’identité profonde de la personne et non à ce que veut l’entourage. Il est aussi plus facile d’accepter sa vulnérabilité ou son handicap dans un environnement qui ne stigmatise pas et ne discrimine pas. Souvent connotée négativement, la vulnérabilité favorise-t-elle le repli auprès des pairs? Les personnes victimes de discrimination, parce qu’elles ne correspondent pas à un modèle de société, choisissent le plus souvent de se regrouper pour y trouver de la solidarité et avoir davantage de poids. Les mouvements sociaux sont faits pour ça! Une identité commune permet aussi de se défendre collectivement avec des gens qui vivent la même situation. Les identités marginalisées et dévalorisées sont souvent invisibilisées. En occupant l’espace public, on se rend visible. Comme la «Mad Pride», en référence à la «Gay Pride», mais avec des personnes en situation de handicap? Être présent dans l’espace public, en masse et avec une identité commune, a pour but de sensibiliser l’opinion à une problématique et d’en faire un thème politique. Le groupe offre une visibilité qu’un individu isolé a beaucoup plus de peine à obtenir. C’est d’ailleurs de cette façon que les questions de genre se sont imposées ces dernières années et sont devenues un thème politique fort. Aux yeux de la société, l’identité des personnes vulnérables serait-elle toujours réduite à leur handicap ou à leur limitation? Non, parce que l’être humain a en lui cette formidable capacité de se raconter des histoires, de s’imaginer, de se projeter, tout en gardant un lien avec sa réalité. Cette identité narrative, la façon dont on se raconte à soi-même et aux autres, donne de la cohérence et du sens à la vie, et ce sens peut être trouvé malgré les difficultés, dans n’importe quelle situation. Il y a aussi des personnes À la une

12 ARTISET 01 I 2024 Interprofessionelles Team mit hohem Qualitätsstandard Bei Emeda arbeitet ein Team aus Fachärzten, Geriatern, Pflegeexperten, medizinischem Assistenzpersonal, Apothekern und APN (Advanced Practice Nurse), das interprofessionell mit dem Pflegepersonal in Alters- und Pflegeheimen agiert. Das heisst: Eine Ärztin oder ein Arzt kommt gemeinsam mit einer medizinischen Assistenz regelmässig bei der Institution zur Visite vorbei, wobei der Arzt dem Heim fest zugeordnet ist. So unterstützt Emeda die Heime dabei, die ärztliche Versorgung sicherzustellen. Aber die Dienstleistungen von Emeda gehen noch weiter: Dank einem Netzwerk von rund 370 Apotheken profitieren die Institutionen auch von einer umfassenden pharmazeutischen Betreuung, inklusive Medikamentenlieferung und Verblisterung. Es versteht sich von selbst, dass hohe Qualitätsstandards bei einem solchen Angebot von zentraler Bedeutung sind. Emeda konnte sich als erste mobile Heimarztpraxis der Schweiz von EQUAM zertifizieren lassen. Zudem ist die Praxis eine vom SIWF anerkannte Weiterbildungsstätte für den ärztlichen Nachwuchs im Bereich Geriatrie. Ganzheitliche Betreuung: 24 Stunden am Tag, 365 Tage im Jahr Das Emeda-Team folgt einem ganzheitlichen Ansatz, der nicht nur akute Gesundheitsprobleme im Blick hat, sondern auch präventive Massnahmen PUBLIREPORTAGE In der Schweiz steht die Gesundheitsversorgung vor immer neuen Herausforderungen, insbesondere bei der Pflege und Betreuung älterer Menschen. Aufgrund des Ärztemangels haben viele Alters- und Pflegeheime Schwierigkeiten, die ärztliche Versorgung ihrer Bewohnerinnen und Bewohner sicherzustellen. Das Konzept von Emeda bietet eine wegweisende Antwort auf diese Herausforderungen. bietet. Durch regelmässige Besuche können Veränderungen im Gesundheitszustand frühzeitig erkannt und entsprechende Massnahmen ergriffen werden. So hilft Emeda, ernsthafte Erkrankungen zu verhindern oder in einem frühen Stadium zu behandeln, was die Lebensqualität der Bewohnenden verbessert. Zudem steht den Alters- und Pflegeheimen ein telefonischer ärztlicher Hintergrunddienst zur Verfügung, der das ganze Jahr über 24 Stunden am Tag erreichbar ist. Effizient, ressourcenoptimiert und persönlich Ein wichtiger Punkt im Kampf gegen den Fachkräftemangel ist die Optimierung von Ressourcen. Hier spielt das Team von Emeda eine tragende Rolle: Indem an einem Ort mehrere Patientinnen und Patienten besucht werden, kann das Arztpersonal seine Zeit effizienter nutzen, ohne dass die Qualität der Betreuung darunter leidet. Das Pflegepersonal wird entlastet. Die Visiten an einem fixen Tag erleichtern und steigern die Prozessabläufe in den Alters- und Pflegeheimen und die feste personelle Zuordnung zu einer Institution erhöht die persönliche Bindung zwischen Bewohnenden, medizinischem Personal und dem Pflegepersonal. Technologische Integration Aber nicht nur die Optimierung der Ressourcen wirkt dem Fachkräftemangel entgegen: Auch die Integration moEmeda – die mobilen Heimärzte in Alters- und Pflegeheimen: Ein Blick in die Zukunft der Gesundheitsversorgung emeda.ch Emeda AG, Zürichstrasse 38, 8306 Brüttisellen, T 044 655 12 34, info@emeda.ch derner Technologien ist unabdingbar, um effizienter zu arbeiten und trotzdem genug Zeit für die Patientinnen und Patienten zu haben. Emeda dokumentiert während der Visite alle Daten in einer elektronischen Patientenakte. Nebst dem Zeitgewinn bei der Erfassung wird so auch ein nahtloser Austausch zwischen allen beteiligten Fachpersonen ermöglicht. Gemeinsam mit anderen Playern im Gesundheitsmarkt investiert Emeda Ressourcen in die stetige Weiterentwicklung von Technologien, um die digitalen Prozesse im Gesundheitswesen, z. B. bei der elektronischen Bestellung von Medikamenten, weiter voranzutreiben. Pionierarbeit für das Gesundheitswesen Emeda leistet Pionierarbeit. Im Jahr 2024 wird im Rahmen eines Pilotprojekts erstmals eine APN gemeinsam mit einem Arzt auf Visite gehen, unterstützt durch telemedizinische Anwendungen. Es ist davon auszugehen, dass dieser innovative Ansatz einen wegweisenden Einfluss auf die Zukunft der Gesundheitsversorgungen haben wird.

ARTISET 01 I 2024 13 qui font le choix de vivre en retrait pour échapper au regard des autres, sortir d’un système dans lequel elles pourraient souffrir, et qui se reconstruisent une identité très différente. À nouveau, cela dépend des ressources dont dispose la personne et des contraintes personnelles ou matérielles auxquelles elle est soumise. Au cours de leur vie, les individus vivent des événements critiques, des transitions, des ruptures. Quel en est l’impact sur l’identité? Il n’y a pas forcément d’impact. Certaines transitions, par exemple le passage de l’école à la vie professionnelle, s’inscrivent dans la continuité. Elles font partie d’une projection dans le futur, elles sont une suite logique. Il existe cependant des événements parfois inattendus qui sont des ruptures dans le parcours de vie et rompent l’équilibre, comme une maladie, un accident, un deuil, une séparation. Dès lors, l’identité doit se reconstruire sur de nouvelles bases. L’individu va alors puiser dans l’environnement, dans les choses du quotidien et dans sa mémoire des éléments qui renforcent la cohérence de sa vie. Avec le vieillissement, le statut professionnel et social des personnes se modifie, les capacités physiques et cognitives aussi. Est-ce que cela signifie aussi une perte d’identité? Si l’on parle ici du passage à la retraite, les études montrent plutôt une forme de libération: retrouver du temps, même si les agendas des jeunes retraités sont bien pleins! L’idée que la retraite est forcément liée à une perte d’identité n’est pas générale. Elle peut cependant se retrouver surtout chez des hommes qui avaient tout consacré à leur travail. C’est une vision normative, mais qui n’est pas représentative de ce que vivent beaucoup de femmes en Suisse, et c’est un modèle remis en question par les jeunes générations. Le fait que ces personnes aient principalement investi leur identité dans leur travail les prive de ressources qu’elles auraient pu trouver dans d’autres groupes ou sphères sociales. Cela montre qu’il ne faut peut-être pas mettre toutes ses billes identitaires dans le même panier! Chez les personnes âgées vivant en institution, on parle souvent de perte d’identité en raison du collectif prédominant. Également en raison du changement de domicile. L’entrée en EMS, surtout si elle n’a pas été choisie, crée une rupture dans le parcours de vie et une incapacité à se projeter dans le futur, à moins d’avoir des ressources dans son passé ou dans son environnement. Une étude a montré que l’identité de père ou mère est visiblement fonctionnelle très longtemps et perdure en EMS. Des nonagénaires affirment tenir le coup pour leurs enfants! On oublie que toutes ces personnes en EMS n’ont pas toujours été dépendantes et vulnérables. Comment valoriser ces vies? Dans les EMS, il y a généralement un entretien à l’entrée pour connaître l’histoire de vie des résidentes et résidents. La question est de savoir ce qu’on en fait ensuite … Souvent on ne sait pas qui est la personne, d’où elle vient, quel est son passé. Le contexte institutionnel ne favorise pas toujours la continuité de la trajectoire de vie. De nombreux exemples montrent bien que l’histoire des personnes est importante pour comprendre leur comportement et savoir comment les accompagner. * Dario Spini est psychologue social, professeur ordinaire a la Faculté des sciences sociales et politiques a l’Université de Lausanne. Il est aussi professeur au Centre interdisciplinaire de recherche sur les parcours de vie et les vulnérabilités LIVES. Ses travaux de recherche portent principalement sur la vulnérabilité, les processus et ressources permettant aux individus de faire face aux événements et transitions au cours de la vie. «La norme d’autonomie renvoie à l’idée que toutes les personnes qui ne l’atteignent pas, dont des personnes en situation de handicap et des personnes âgées, sont fragiles ou de dépendantes.» Dario Spini À la une

14 ARTISET 01 I 2024 Laisser la personne être qui elle est Établissement spécialisé pour les personnes atteintes de démence, Sonnweid est un monde à part. Les portes sont fermées au monde extérieur. À l’intérieur, cependant, la liberté est d’autant plus grande. Les résidentes et résidents peuvent y vivre leur singularité. De plus, la manière dont le personnel les accompagne et interagit avec eux leur permet d’exprimer leur identité. Elisabeth Seifert Un monde à part: l’EMS Sonnweid, à Wetzikon, permet aux personnes atteintes de démence de se déplacer librement dans les six bâtiments reliés entre eux et dans le grand jardin. Photo: Sonnweid

ARTISET 01 I 2024 15 Une petite cascade ruisselle sur un mur de pierres sombres du deuxième étage au rez-de-chaussée du bâtiment. Le bruit de l’eau et les biotopes soigneusement aménagés avec des plantes et des éléments en bois le long de la rampe reliant les étages, donnent le sentiment d’être sur un chemin de randonnée. Des niches invitent à faire une pause et à se détendre. «Cela peut rappeler à quelqu’un ses vacances à la montagne», indique Doreen Prüher, responsable des soins. «Mais nous souhaitons avant tout que nos résidentes et résidents, ainsi que le personnel, se sentent bien ici.» Nous sommes au cœur de l’univers de Sonnweid, dans l’un des six vastes bâtiments reliés entre eux, où vivent 174 personnes présentant une démence modérée à sévère. Elles habitent et évoluent dans de grands espaces baignés de lumière, avec des tableaux et des photos qui ornent les murs. Les différentes couleurs des couloirs et des parois créent une atmosphère agréable et servent de repères. Tous les bâtiments donnent accès au vaste jardin traversé de sentiers sinueux et agrémenté de recoins, laissant deviner que les résidentes et résidents y passent certainement d’agréables moments du printemps à l’automne. Une tout autre normalité Sonnweid, situé en périphérie de Wetzikon, dans le canton de Zurich, est un monde à part. Les portes sont fermées au monde extérieur. À l’intérieur, en revanche, la liberté est d’autant plus grande. «Nous laissons chaque personne être qui elle est», déclare Gerd Kehrein, responsable de la formation. Il s’agit d’un principe essentiel dans les relations avec les résidentes et résidents. De même, les gens «peuvent faire ce qui a du sens pour eux». Cela ne doit pas forcément correspondre à ce que nous considérons comme sensé selon nos conceptions et normes usuelles. «Dans notre établissement, nous avons une tout autre notion de la normalité», affirme Doreen Prüher. Ainsi, la déambulation n’est pas considérée comme dénuée de but ou de sens: au contraire, les personnes sont encouragées à combler leur besoin de mouvement. «Les portes ne sont pas fermées. Tout le monde peut évoluer librement dans les bâtiments et le jardin», souligne la responsable des soins. La nuit, seul l’accès au jardin est fermé. Les portes des unités et des lieux de vie sont elles aussi ouvertes. «Tout le monde est bienvenu partout.» En déambulant dans les couloirs, les personnes peuvent se servir aux coins repas répartis en différents endroits. Il arrive souvent qu’une personne se couche dans le lit d’une autre ou passe la nuit sur le canapé d’une autre unité. Il peut aussi arriver qu’un résident s’endorme sur le sol et qu’un membre du personnel lui apporte une couverture. «Avec la démence, la normalité laisse la place à l’anormalité, qui peut être assimilée au chaos», déclare Gerd Kehrein, rappelant un principe de longue date de Sonnweid, avant de conclure de manière délibérément provocatrice: «À Sonnweid, le chaos devient la normalité.» Pour les proches ou les personnes en visite, cela peut être déroutant de voir une personne boire dans le verre de son voisin ou porter son maillot de corps par-dessus son pull, ou encore une résidente arracher des plantes d’une platebande du jardin pour les replanter ailleurs, ou un résident réaménager la salle de bains. «Chez nous, une vie libre et autodéterminée signifie que les personnes décident en grande partie elles-mêmes ce qu’elles veulent faire ou non», indique Doreen Prüher. «Nous essayons de ne pas confronter les personnes atteintes de démence à leurs déficits. Elles ne font pas mal les choses, nous les acceptons comme elles sont, et c’est bien ainsi.» Être en relation Cette posture d’accepter les personnes atteintes de démence dans leur différence les apaise, observe Doreen Prüher. Par «accepter», elle veut dire que le personnel ne se contente pas de laisser les personnes faire ce qu’elles souhaitent, mais qu’il fait aussi preuve de compréhension à leur égard. Les résidentes et résidents doivent ressentir et savoir qu’ils sont bien comme ils sont. «On s’adresse à eux partout et on les À la une

16 ARTISET 01 I 2024 Bei uns finden Sie das passende Personal! sozjobs.ch Der Stellenmarkt für Sozial- und Gesundheitsberufe Sozjobs_Inserat_2022_Curaviva_halbseitig_180x130.indd 2 22.06.22 16:37 Annonce observe souvent que, pour les personnes atteintes de démence, le simple fait d’être à leurs côtés les rassure, surtout lorsqu’elles sont tristes: «Elles veulent qu’on les étreigne et qu’on les prenne dans les bras.» prend en considération à tout moment», affirme la responsable des soins. Lorsqu’ils se promènent dans les couloirs, par exemple, le personnel les salue toujours. «Je m’arrête souvent un instant pour leur demander comment ça va et s’ils ont besoin de quelque chose», explique-t-elle. Si une personne se montre particulièrement agitée, un membre de l’équipe fait un tour dans l’établissement avec elle. «Nous entrons ainsi en relation avec elle», déclare-t-elle. «Être en relation, c’est notre remède le plus important.» Gerd Kehrein estime lui aussi que ce «travail de relation» est l’élément central dans l’approche des personnes atteintes de démence. Après tout, les êtres humains ne sont pas faits pour rester seuls. «Pour vivre son identité, il faut une personne en face de soi», indique-t-il, se référant à la célèbre phrase de Martin Buber, philosophe des religions: «L’homme devient Je au contact d’un Tu.» Selon Gerd Kehrein, les activités et les occupations permettent certes de construire une identité, mais le plus important pour la qualité de vie, l’expression de l’identité et l’individualité, «ce sont les personnes qui cheminent avec moi et la manière dont elles s’y prennent». Doreen Prüher «Nous essayons de ne pas confronter les personnes atteintes de démence à leurs déficits. Elles ne font pas mal les choses, nous les acceptons comme elles sont, et c’est bien ainsi.» Doreen Prüher, responsable des soins

ARTISET 01 I 2024 17 Vivre l’instant présent Le fait d’entrer ou d’être régulièrement en relation avec les résidentes et résidents et de voir l’effet positif que cela produit sur eux est valorisant et gratifiant pour le personnel, affirme Doreen Prüher. Elle estime que cette attitude est aussi une école de vie: «Nous devons rester dans l’instant présent et nous concentrer totalement sur notre vis-à-vis.» Les personnes atteintes de démence le font immédiatement savoir lorsqu’une collaboratrice a l’esprit ailleurs et veut se dépêcher de prodiguer les soins. «La plupart du temps, on ne peut pas faire les choses rapidement, car la résidente ou le résident est dans une tout autre intention.» Travailler avec des personnes qui ont des troubles cognitifs demande une certaine lenteur et aide à lever le pied. Du temps, de l’empathie et un grand sens de l’observation sont nécessaires pour identifier les besoins des personnes qui peinent à exprimer leurs souhaits verbalement. Pour Doreen Prüher et Gerd Kehrein, il est important de souligner que Sonnweid n’a pas plus de personnel que d’autres EMS. Ce qui compte, c’est plutôt l’expérience, indique la première, de même que la posture acquise à Sonnweid, ajoute le second. Dans le cadre de l’accompagnement et des soins des personnes vivant avec une démence, il faut non seulement adopter une attitude claire, mais aussi avoir conscience que les personnes vivent dans l’instant présent, précise Gerd Kehrein. Pour elles, hier et demain n’ont plus, respectivement pas encore d’importance. Cela influence aussi la manière d’aborder leur parcours de vie. À Sonnweid, comme dans beaucoup d’autres EMS spécialisés, l’accompagnement des résidentes et résidents se fonde sur leur vécu. Les personnes portent leur vécu en elles «Dans les soins et l’accompagnement, nous essayons de mettre en œuvre ce que nous observons sur le moment», explique Doreen Prüher. «Les personnes nous montrent ce qui est important pour elles et nous adaptons les soins en fonction de la situation.» Le comportement et les émotions sont toujours influencés par le parcours de vie. «Les personnes portent leur vécu en elles», déclare la responsable des soins. Il peut arriver, par exemple, qu’une personne réagisse de manière négative à une certaine collaboratrice, sans qu’on sache pourquoi. «Dans de tels cas, nous essayons de trouver des réponses dans son parcours de vie et posons des questions à ses proches.» La collaboratrice lui rappelle peut-être quelqu’un en particulier. Autre exemple: une résidente refuse soudainement de boire du café au petit-déjeuner. En parlant avec ses proches, on apprend qu’elle buvait beaucoup de thé auparavant. À Sonnweid, toutefois, le travail biographique repose toujours sur la perception dans l’ici et maintenant, soulignent les deux responsables. En effet, on ne peut pas toujours se fier aux informations fournies par les proches quant aux préférences et aux aversions d’une personne: ces indications ne correspondent peut-être pas (ou plus) à la réalité actuelle. «Il arrive souvent que des proches apportent des meubles et des tableaux qu’une personne a toujours beaucoup aimés par le passé mais qui, soudain, lui sont complètement étrangers car, dans sa propre perception, elle a 25 ans de moins», explique Gerd Kehrein. «Nous ne savons pas à quel moment de leur vie les personnes se situent maintenant», poursuit le responsable de la formation, qui s’est beaucoup penché sur le thème du travail biographique. Il compare notre vie à une bibliothèque dont les livres, classés par ordre chronologique, racontent notre histoire mois après mois. Lorsque la démence apparaît, ces livres se mettent à tomber de l’étagère. En outre, les personnes touchées changent et développent de nouvelles préférences ou aversions. Ainsi, quelqu’un qui s’est levé tôt toute sa vie peut devenir un lève-tard. De même, une femme au foyer qui a toujours cuisiné avec passion ne voudra peut-être plus rien savoir à propos de la cuisine. Belles émotions et souvenirs positifs «Notre objectif est de rendre le moment présent agréable», déclare Doreen Prüher. À l’aménagement des espaces intérieurs et extérieurs, s’ajoutent certains arômes et parfums qui font du bien et éveillent des souvenirs positifs. La musique et le contact avec les animaux contribuent eux aussi au bien-être. «Notre offre comprend de nombreux éléments qui peuvent avoir un lien avec le parcours de vie des personnes, mais nous ne forçons jamais quelqu’un à participer à une activité qui, aujourd’hui, n’a plus de signification pour lui. Les personnes sont libres d’être ce qu’elles sont et de faire ce qu’elles aiment sur le moment.» «Les activités et les occupations permettent de construire une identité, mais le plus important, ce sont les personnes qui cheminent avec moi et la manière dont elles s’y prennent.» Gerd Kehrein, responsable de la formation À la une

Des technologies modernes qui améliorent la qualité de vie et les soins PUBLIREPORTAGE Quel rapport entre les systèmes numériques et la chaleur humaine? Un lien étroit selon un des responsables de la maison de retraite Zur Rose. Reto Weber, le directeur, nous dévoile toute la modernité de son établissement. Parfois, les idées fleurissent mieux là où elles ne sont pas attendues. Reichenburg, village schwyzois de 4000 âmes, se situe à la frontière entre les cantons de Glaris et Saint-Gall. 48 personnes résident à la maison de retraite Zur Rose. Celles-ci participent aux réunions de chantier et aux décisions, par exemple lorsqu’il s’agit de choisir des chaises pour les salles communes. Un bel exemple de démocratie de proximité. Reto Weber et son équipe innovent aussi pour faciliter les soins et la prise en charge des résident·e·s, et améliorer l’offre de divertissements. «La rénovation de la maison de retraite est l’occasion de numériser notre bâtiment», déclare- t-il. «Nous voulons en profiter pour simplifier notre travail grâce à des outils numériques modernes.» smartphone du/de la soignant·e concerné·e, qui localise la personne sur son téléphone – celui ou celle qui intervient confirme avoir reçu l’alerte. «Auparavant, il arrivait que trois personnes se précipitent pour venir en aide à un·e résident·e. Aujourd’hui, nous évitons ce temps perdu», déclare Reto Weber. Le badge sert aussi de clé aux résident·e·s et SmartLiberty simplifie de nombreux processus au sein de la structure: «L’application permet de voir l’ensemble des collaborateurs·trices, leur rôle et leur statut ac- tuel. Ainsi, tout le monde sait en permanence qui est disponible. Par ailleurs, nous pouvons envoyer des notifications à certains groupes de personnes. Si on remarque quelque chose en présence d’un·e résident·e, nous prenons une photo et l’envoyons directeReto Weber, directeur de la maison de retraite Zur Rose à Reichenburg «Notre valeur ajoutée: moins de temps morts, plus de temps pour les résident·e·s, du personnel satisfait.» La numérisation à la maison de retraite Zur Rose de Reichenburg Moins de travail, plus de sécurité Le bureau de Reto Weber se situe près de l’entrée principale. «Dès qu’un résident présentant un risque de fugue quitte la résidence, je reçois une alerte sur mon portable», explique-t-il. «Je peux alors réagir immédiatement et le raccompagner en lieu sûr. En même temps, je quittance l’alerte reçue pour éviter au personnel de quitter leur poste inutilement. Eux aussi reçoivent une alerte sur leur portable.» S’ils peuvent réagir vite, c’est grâce à la plateforme SmartLiberty. Les résident·e·s portent à leur poignet un badge multifonction qui transmet leur position dans le bâtiment au personnel soignant. En cas de besoin, il leur suffit d’appuyer sur un bouton pour appeler. L’alerte est directement envoyée sur le ment à la personne concernée ou au service technique en cas de problème de cet ordre-là. Les destinataires comprennent de suite la situation.» Un détecteur au plafond des chambres Un·e résident·e s’assoit dans son lit? Il·elle bouge et se retrouve au bord du lit, en sort ou tombe? Dans ces situations, le personnel soignant est immédiatement informé sur son portable en fonction des besoins, et ce grâce à QUMEA. Ce système de prévention des chutes et de surveillance de la mobilité est réglé selon la situation personnelle des résident·e·s. Il permet d’intervenir très tôt et

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