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ARTISET 04 I 2022 21 Les dernières feuilles d’automne ont des teintes jaune-orangé. Au loin, le château qui a donné son nom à l’institution Schlossgarten Riggisberg, près de Berne. Pedro Codes et l’une des résidentes se promènent lentement sur le chemin de gravier, en pleine conversation. L’atmosphère est détendue. Mais ce genre de promenade est bien plus important qu’il n’y paraît: Pedro Codes est l’un des deux pairs membres du personnel. Il a vécu une expérience en psychiatrie et son travail est un élément important de l’offre proposée par l’institution. Tous les mercredis, il mène entre trois à cinq entretiens de consultation au sein de Schlossgarten Riggisberg. Cet ancien journaliste spécialisé dans la musique a suivi avec succès une formation complémentaire en conseil psychosocial et a de très bonnes relations avec les résident·es. «La particularité de ce que je peux offrir consiste en ma propre histoire et ma compréhension personnelle», résume-t-il. Une dépression récurrente, un trouble anxieux, l’expérience de la migration et une mère atteinte de schizophrénie paranoïde: il a une expérience plurielle, et cela compte. Ce qui crée le lien, ce n’est pas la similarité des diagnostics, mais la similarité des expériences: «Mon histoire personnelle fait que les gens, tout simplement, me croient davantage.» Il préfère mener ses entretiens en se promenant avec les résident·es. «Ça permet aussi au cerveau de mieux fonctionner», plaisante-t-il. Il commence par laisser parler son interlocuteur·trice, en essayant de discerner les besoins que cela lui révèle. Il cherche des points communs, établit une relation et parle de sa propre expérience, tout en faisant aussi bien attention à ne pas donner trop de conseils: «Lorsque je révèle trop de choses de moi, je prive mon interlocuteur de la chance d’apprendre par lui-même.» En même temps, le fait de poser des limites lui est également bénéfique à titre personnel. Au début, les expériences douloureuses vécues par les personnes en face de lui l’affectaient fortement. «C’est un processus: je fais désormais la part des choses et sais que je peux aussi apporter de l’aide rien que par ma présence.» Si cela devient trop lourd à porter, un coaching externe lui apporte le soutien nécessaire. Des pairs dans l’équipe Ursula von Bergen, qui codirige le domaine Habitat et travail, veille au bien-être de «ses» pairs membres du personnel: «Il est très important pour moi de savoir comment ils vont, parce qu’ils sont importants au sein de notre équipe. Ils sont indispensables.» Elle en a été convaincue après avoir invité à deux occasions, des pairs externes à participer à des évènements organisés autour du thème du recovery, un modèle qui soutient l’auto-efficacité et le potentiel de guérison. Des personnes ayant vécu une expérience en psychiatrie qui accompagnent d’autres personnes concernées: pour elle, cela faisait tellement sens qu’il fallait absolument engager des pairs de façon permanente. «Pour les résident·es, les pairs sont des bâtisseurs de ponts et des porteurs d’espoir.» L’idée a rapidement germé d’engager un homme et une femme. Ursula von Bergen a fait paraître une annonce et invité les candidat·es à des entretiens d’embauche officiels, pour en sélectionner deux. Lorsque le centre de consultation de Schlossgarten a ouvert ses portes en 2019, l’une des offres proposées s’intitulait «Pairs. Conseils sur un pied d’égalité». Y figuraient les noms et les adresses e-mail de Pedro Codes et de Daniela Wegmüller. «Les résident·es se racontent parce qu’ils savent que la personne en face peut comprendre de quoi ils parlent quand leur monde est chamboulé par des séismes psychiques», affirme Daniela Wegmüller, la seconde des deux pairs membres du personnel. Elle a encore en mémoire ce jour où elle a invité un résident taciturne et replié sur lui-même à se joindre à une partie de jeu. «La première partie a été suivie d’une deuxième, puis une troisième, une quatrième... C’était tellement beau de voir son sourire, ses yeux s’éclairer pendant qu’il jouait, et à quel point il est resté motivé pendant toutes ces Au sein de l’institution Schlossgarten Riggisberg, près de Berne, le travail des pairs a pris une telle importance que l’institution a engagé en 2019 deux pairs ayant vécu une expérience en psychiatrie. Leur travail fait l’unanimité, car ils accompagnent les résidentes et résidents sur le chemin du rétablissement, vers l’auto-­ efficacité et une vie épanouie. Claudia Weiss

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