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ARTISET 04 I 2022 47 de se rendre au foyer une fois par an pour prendre le repas de midi, mais il a bien senti qu’il n’en faisait plus partie, le personnel se montrant distant à son égard. Il s’est ainsi retrouvé sans plus de soutien de la part du foyer, et n’en a jamais trouvé à la maison. Au mieux, employé de bureau Le jugement tant redouté a été prononcé par un conseiller en orientation auquel il avait fait part de son souhait de suivre une formation d’enseignant ou un apprentissage de commerce. Celui-ci lui a alors sèchement répondu: «Vu ton passé, tu ne peux pas espérer faire plus qu’un apprentissage de bureau.» Pour s’en sortir, il le savait déjà à l’époque, il lui fallait toutefois une formation et un revenu. Ce jeune homme avide de connaissances a donc été d’autant plus heureux lorsqu’il a obtenu une place d’apprentissage d’employé de commerce auprès de l’administration de la ville de Lucerne. «De meilleures conditions cadres permettraient d’offrir de meilleures opportunités à davantage de personnes de ce groupe», affirmet-il. C’est pourquoi il soutient avec ferveur les care leavers qui ont attiré l’attention sur leurs préoccupations et revendications l’année dernière dans le cadre d’une campagne de grande envergure. Il soutient aussi le postulat demandant d’élaborer un modèle au niveau fédéral afin d’assurer le financement des besoins vitaux des care leavers jusqu’à l’âge de 25 ans ou jusqu’à la fin de leur formation initiale. Roger Wicki a surmonté cette période extrêmement difficile grâce au prêtre qui l’a soutenu, qui l’a constamment encouragé et incité activement à mettre en place ses propres structures. «Mais les gens qui n’ont personne sont comme des trapézistes sans filet», déclare-t-il. Sans famille, il n’y a pas de soutien, et donc pas de résilience. «Une enfance passée dans un foyer est un facteur de risque pour la future vie professionnelle et privée des jeunes car les ressources nécessaires leur font souvent défaut au début de l’âge adulte», pouvait-on déjà lire en 2014 dans la revue scientifique Uni-Nova de l’Université de Bâle. Les solutions semblent pourtant très simples: «Suivre une formation qualifiée, atteindre un statut socio-économique plus élevé, rester en bonne santé physique et entretenir une relation saine avec un ou une partenaire ont des effets bénéfiques pour les anciens enfants placés.» Tout cela est incroyablement difficile, souligne une fois de plus Roger Wicki, encore plus pour les hommes que les femmes: certaines filles qui étaient en même temps que lui au foyer se sont depuis mariées et ont construit une famille avec leur partenaire, brisant ainsi le cycle. En revanche, aucun des garçons avec lesquels il a grandi au foyer n’a vraiment réussi à s’en sortir, à part lui: «Cinq sont décédés, plusieurs vivent de l’aide sociale et un se bat pour survivre, mais aucun n’a trouvé de partenaire.» Pourtant, ils aspiraient tous à un mode de vie normal. Respect et empathie Roger Wicki est donc d’autant plus fier de sa fille Daria, âgée de 21 ans, qui étudie le travail social, la politique sociale et la gestion d’entreprise. Cette jeune femme sûre d’elle suit son propre chemin. «Elle a brisé ce cycle.» Quant à lui, il a tiré profit de son expérience et choisi un métier dans lequel il peut faire la différence. En tant que directeur de Seeblick, il attache une grande importance à l’attitude qu’il adopte: il traite les résident·es avec respect et cherche toujours des solutions pour que toutes et tous soient à l’aise et satisfaits. «Mon expérience m’aide à éprouver de l’empathie», déclare-t-il. Le bien-être du personnel lui tient aussi à cœur: «C’est essentiel et cela contribue en fin de compte au bien-être des résident·es.» À la table voisine, un résident en fauteuil roulant fait un signe joyeux au directeur et lui dit qu’il aimerait aller au village plus tard. Roger Wicki en profite pour lui demander comment il se sent à Seeblick. L’homme fait un clin d’œil espiègle et lui répond: «Ah, vous savez bien que je préférerais ne pas être là, mais ce n’est pas si mal ici!» Ils se mettent à rire tous les deux. Roger Wicki trouve vite le bon ton à adopter avec les résident·es: il connaît bien le sentiment de vouloir vivre une autre situation que celle dans laquelle on se trouve ainsi que le sentiment d’impuissance. Autant de choses qu’il souhaite épargner à «ses» résident·es. «Personne ne peut faire disparaître mes blessures psychiques», déclare-t-il. Mais il est à présent en paix avec lui-même. Et son travail lui a donné la sécurité et le sens dont il avait besoin. L’actu Daniela Walker: «Vom Waisenhaus zur Kinder- und Jugendsiedlung Utenberg. 200 Jahre stationäre Kindererziehung in Luzern», 25 francs (en allemand uniquement), à commander sur: ➞ www.leavingcare.ch ➞ www.careleaver.ch

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